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— Plus haut ! Redresse ton arc ! Voilà ! Tire !

La flèche fendit l’air et se planta dans la poitrine d’un mannequin de paille. Kian gratifia le tireur d’une tape sur l’épaule. Au moins celui-ci deviendrait un archer acceptable. Les autres avaient du mal à rester concentrés et perdaient patience. Mais ils n’étaient pas mauvais à l’épée.

Kian leva les yeux. Le soleil était presque au zénith. L’heure du repas approchait et ils avaient beaucoup travaillé. Il allait ordonner de ranger les armes lorsque Fulvius s’avança dans le pré. Le fils de l’intendant se planta devant eux et lança à la cantonade :

— Appius notre maître est mort.

Kian se figea. Un coup de poing à l’estomac ne lui aurait pas davantage coupé le souffle.

— Vous êtes à présent au service de Marcus, reprit Fulvius, ses yeux globuleux faisant le tour de la douzaine de gardes. Ça ne changera pas grand-chose puisque Marcus s’occupait déjà de tout.

Les hommes ne manifestèrent aucune réaction. La mort d’Appius, en effet, n’affectait en rien leur quotidien. Kian, immobile, fixait le vieux marronnier au milieu du pré. La chaleur était forte et il eut conscience d’être trempé de sueur.

— Alors, Kian, tu vas moins faire le prétentieux !

Kian tourna son regard vers le fils de l’intendant, détailla les cheveux noirs frisés, les yeux de batracien, les mains qui se frottaient fébrilement l’une contre l’autre, les dents jaunes que découvrait un sourire mauvais. Rien à espérer de cet homme-là. Fulvius le haïssait, et depuis des années.

— Réponds quand je te parle ! C’est si dur d’aligner deux mots ?

— Je n’ai rien à dire.

— Bien sûr que tu n’as rien à dire, pauvre abruti ! Mais quand un supérieur t’adresse la parole, tu dois au moins articuler « oui » ou « non ». Ton temps est fini, mon gars. Tu vas filer droit maintenant. Compris ?

— Oui, Fulvius.

— Les grands airs, la petite chambre douillette et les bons morceaux de viande que la domna te réserve, c’est terminé. Tout comme les promenades en forêt. Notre nouveau maître n’aime pas ce genre de fantaisies.

Les gardes étaient aussi immobiles que les mannequins qui leur servaient de cibles. Sans l’avoir jamais formulé, ils considéraient Kian comme leur supérieur. Aucun d’eux ne l’égalait dans le maniement des armes. L’humiliation qu’il subissait les mettait mal à l’aise et rejaillissait sur eux parce qu’ils le respectaient.

Fulvius, grisé, continuait sa tirade :

— C’est que ça l’inquiète de savoir sa sœur seule dans les bois avec une brute de ton espèce. Qu’est-ce qui pourrait te passer par la tête ? Un animal dans ton genre, ça a du mal à maîtriser ses instincts ! Allez, ne me dis pas que tu n’y as pas pensé ? Elle ne te plaît pas, la domna ?

Briser ces dents, transformer cette face en bouillie sanglante… Kian ne pouvait pas se le permettre. Surtout pas maintenant. Alors il serra les poings et regarda le fils de l’intendant droit dans les yeux avec tout le mépris dont il était capable. Fulvius recula comme si l’esclave l’avait frappé, puis s’approcha à nouveau et le gifla sur la bouche du revers de la main. Kian chancela.

— Et ne compte pas sur la domna pour te défendre. Elle n’aura plus son mot à dire ! D’ailleurs elle se fiche bien de toi ! On peut te remplacer du jour au lendemain, elle s’en apercevra à peine. Qu’est-ce que tu crois, hein ? Que mademoiselle s’inquiète de toi parce qu’elle vient te soigner dans ton réduit ? Elle en ferait autant pour son cheval ou son chien. Tout le monde sait qu’elle est bizarre. Rappelle-toi ça : tu es bon à remuer le purin. Tu n’es rien, rien.

Au loin le marronnier paraissait flou, comme si le brouillard s’était levé. Son cœur battait trop fort, sa gorge était trop serrée. Kian se passa la langue sur les lèvres pour effacer le goût du sang. Ce fiel, cette jalousie, n’auraient pas dû l’atteindre. Pourtant ils le blessaient davantage qu’il ne l’aurait imaginé. La présence des gardes rendait la scène encore plus infamante.

— Maintenant, va nettoyer les écuries. On reçoit du monde pour les funérailles. Il faut que ce soit impeccable.

— Quand enterre-t-on Appius ?

— Ça te concerne ? Tu ne comptes pas assister à l’enterrement, quand même ?

— Tous les esclaves y assistent. C’est la tradition.

— Peu importe ! Toi tu garderas l’enceinte de la villa avec les hommes de faction. C’est ton tour, tu n’y couperas pas.

— Mais…

— Tu discutes ?

Kian secoua la tête.

— Les écuries. Immédiatement.

L'épée de la liberté
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